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L’ambition de rencontrer des locaux en voyage

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- 19 juin 2024

‘’Rencontrer des locaux’’, goal ultime du voyageur intrépide qui veut pas faire comme tous les touristes.
C’est un truc dont il est fier, qu'il brandit comme la preuve de l’authenticité de ses aventures : ‘’Parce que moi, bon... j'traine essentiellement avec des locaux. Faire le touriste, c’est pas trop mon truc, t’sais.’'
Tout ceci n'a pas l'air méchant, on dirait même que ça part d'un bon sentiment. Et pourtant… Pourtant, ça m’énerve. Pire. Ça me dérange. Et juste après, ça m’exaspère pro-fon-dé-ment.
C'est pas l’idée de la rencontre le problème, hein. C’est la façon d’en parler et de l’envisager.
Alors, pourquoi diable ai-je envie de me boucher les oreilles et chanter très fort dès que j'entends des histoires de ''connexion avec des locaux'' ? J'ai du mal à le comprendre.
J’ai donc décidé de décortiquer cette idée pour enfin mettre le doigt sur ce qui pourrait bien me mettre si mal à l'aise.

Première question : c’est qui « les locaux » ?

Après, à la louche, 3 décennies en France, 1 an dans les Canaries, 2 ans en Amérique du Sud et quelques courtes expériences ailleurs (Allemagne, Danemark, Espagne, Québec, États-Unis, Népal, Danemark,  Islande)*, il me semble que tous les gens du monde ne se voient pas attribuer le sobriquet de  »local » de la même manière. J’entends rarement dire qu’on va connecter avec des locaux en Suisse ou au Canada par exemple.

Exercice pratique : 
Je te laisse remplacer les pointillés des phrases suivantes une fois par ‘’Allemagne’’ et ‘’Berlin’’, puis une fois par « Colombie » et « Carthagène » :
– ‘’J’pars en ……. la semaine pro. Mais, moi j’y vais surtout pour connecter avec les locaux’’. 
 – ‘’Et à  ……. , on s’est fait potes avec des locaux. Vraiment cool les gars, mais qu’est-ce qu’ils picolent!.’’
Il n’y a en pas une qui sonne un peu plus étrange que l’autre ?

 

Grosso modo, ce que j’ai noté, c’est que :
  • si on va visiter un pays du sud (ceux qu’on m’a appris à l’école qu’ils étaient pauvres, sans éducation et avaient graaaaand besoin de nous, notre argent et notre sagesse), on va à la rencontre des ‘’locaux’’. Les locaux, on leur demande d’être là et de ressembler à ce qu’on imagine. Ils n’ont pas vraiment besoin d’être une personne précise pour que la rencontre soit intéressante.
  • si on va dans un pays occidental (qu’on m’a appris à l’école qu’on était riches, éduqués et qu’on allait sauver le monde), on va  plutôt parler de rencontre avec des mecs, des meufs, les gars du coin, les gens du village, des « remplacer par le nom des habitants du pays ». Bref, des gens. Des gens de qui on n’attend pas grand chose sinon d’être eux-même.
« Rencontrer les locaux », ça fait authentique et exotique. (L’authenticité de la vie simple, pour ne pas dire l’exotisme de la pauvreté.) Et après tout, c’est ça qu’on cherche à vivre quand on part, nous les-voyageurs-qui-voyageons-mais-pas-comme-des-touristes, non ?
Évidemment,  »les locaux » est parfois utilisé tout simplement pour parler des résidents d’un lieu, mais il y a parfois d’autres trucs derrière ces mots (Parce que bizarrement, les parisiens, on les appelle pas souvent « les locaux » quand on les croise dans la capitale).

Est-ce que ce serait pas un peu déshumanisant ?

Évidemment, j’aime l’Amérique du Sud pour pour ce qu’elle a de différent de la France. Elle est loin de mes racines, géographiquement, culturellement, culinairement, historiquement, visuellement, naturellement. Et c’est pour ça qu’elle me fascine 1000 fois plus que l’Allemagne. Évidemment que je suis encore émerveillée par certains moments que j’ai partagés avec des latin@s ou des indigènes et extrêmement fière des relations d’amitié que je continue d’entretenir avec la plupart de ces personnes. Évidemment que ces expériences et ces relations me semblent précieuses, rares et inédites, tant elles m’offrent un recul vertigineux sur la France, l’Europe et le monde occidental.
Mais j’essaye toujours de garder en tête que ce sont des gens et que ces moments, qui me semblent si extraordinaires, se passent dans un quotidien qui est le leur. Ce sont juste des gens normaux avec des vies normales, mais d’une norme qui n’est pas la notre. Et pour cette raison, on devrait parler d’eux comme on parle de nos voisins et non comme d’une attraction touristique placée en deuxième ligne d’une to-do liste de voyage.

 

« Je vais visiter le Machu Pichu, puis après je vais aller au lac Titicaca et là-bas on peut dormir chez des familles. Parce que moi ce que je veux c’est connecter avec des locaux.« 
C’est pas dérangeant comme goal de voyage ? D’autant que bien souvent, les touristes (voyageurs, baroudeurs et autres citoyens du monde inclus, puisqu’ils sont aussi des touristes) s’en foutent un peu de rencontrer des vrais locaux (au sens qu’ils habitent l’endroit), pourvu que les locaux correspondent à l’image que, nous, touristes occidentaux on se fait d’eux.

 

Il y a quelques mois, j’ai lu la carnet de bord qu’une famille qui faisait le tour de l’argentine en camping car avait édité. Et j’ai été choquée d’un moment où ils racontent leur arrivée chez quelqu’un, avec qui ils avaient échangé en ligne pour se poser dans son jardin quelques jours, et leur déception de découvrir qu’il n’était pas un ‘’local’’, mais un français installé là depuis 20 ans. Pourtant, le mec vivant là depuis un bon moment avait probablement tout ce qu’on attend d’un ‘’local’’ : lieu de vie, réseau social, connaissances du coin, des traditions, conseils… tout. Sauf l’image exotique que la famille se faisait d’un « local ».

Et tout ça, ça me donne surtout l’impression que sous sa jolie cape de l’ouverture d’esprit et des bons sentiments, cette expression cache pas mal condescendance.

Connecter avec les locaux : le golden goal des voyageurs, les vrais

Sur le même raisonnement que le premier paragraphe, je n’ai pas l’impression que cette affaire de rencontrer des locaux ait la même importance partout dans le monde.
Si on va à Rome pour visiter les monuments célèbres et qu’on partage un moment avec Italiens sympa au passage, c’est très cool. Mais cette rencontre, ce n’est généralement pas l’objectif principal du voyage. Alors pourquoi ça entrerait dans la to-do liste pour un voyage en Bolivie ?

Je comprends qu’il semble bien plus excitant et valorisant de réussir à se faire amis avec des gens d’une culture vraiment très éloignée. Je le comprends, d’autant que je la ressens aussi cette appétence pour l’inconnu. Mais malgré ça, il est essentiel de garder en tête que chaque individu de cette planète est une personne normale.
De la même façon, j’ai un pote mexicain, dont je sais qu’il est très fier de ses amitiés avec des européens (dont moi) et qu’il en parle avec un peu plus d’orgueil que ses amitiés avec des mexicains ou d’autres latinos (et je crois que c’est normal). Mais s’il raconte son voyage en France, il m’appellera  »la française » ou  »mon amie », mais certainement pas  »la locale ».

EXEMPLE-ANECDOTE :
Une fois, dans un hostel en Colombie, et je m’apprêtais à aller boire un coup avec un pote vénézuélien. Et, sympa, j’ai proposé à ma voisine de chambre (française) de m’accompagner. Elle a passé la soirée à raconter que elle, elle traine pas trop avec des touristes quand elle voyage, elle reste surtout avec les locaux. Et que preuve à l’appui, pas plus tard qu’hier, elle avait mangé sur la plage avec des artisans qui étaient dans le même hostel qu’elle. Gnagnagna, gnagnagna… Sauf que les artisans qui vivent dans des hostels, en Amérique Latine, c’est bien souvent des voyageurs latinos qui vivent en vendant des bijoux dans la rue. Et que donc c’est des gens avec plein de nationalités différentes. Et que donc c’était pas des locaux de cet endroit où on était, t’as vu. Mais bon, ils correspondaient à l’image qu’elle se faisait des « locaux », alors elle était fière. Et des histoires comme ça, j’en ai entendu des paquets et lu encore plus sur les groupes Facebook de voyageurs.
J’ai profité de la soirée de l’exemple ci-dessus pour demander à mon pote ce qu’il pensait de cette affaire de  »loca », histoire d’avoir l’avis d’un concerné. Et il a dit (SURPRISE !) qu’il aimait pas ça.
De la même façon que je kiffe pas quand les latinos me mettent dans le grand sac des « gring@s ».
Dans les 2 appellations  »gringos » et les  »locaux », il y une pointe très claire de condescendance. La GROSSE différence entre les deux, c’est que pour les « gringos » elle est très clairement assumée et pour les « locaux » elle est inconsciente car elle porte le masque de la recherche d’authenticité et de l’aventure.

Donc voilà, à la question : Pourquoi diable a-je envie de me boucher les oreilles et chanter très fort dès que j’entends des histoires de « connexions avec des locaux ? »,  j’ai une réponse : parce que c’est condescendant, déshumanisant et que ça sent comme un relent de colonialisme.
Ma réflexion est probablement amenée à évoluer, donc je vais continuer de me renseigner et à observer. Si tu as un avis ou des ressources sur le sujet, je suis preneuse !

*cette liste, c’est pas pour me la péter (parce que je suis pas vraiment fière de mon emprunte carbone et qu’il faut arrêter de prendre l’avion), c’est pour te donner mon référentiel de réflexion.

Auteur.e : Laura

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